Vivre sa vie

Jean-Luc Godard, France, 1962, Solaris Distribution

Commentaire

Contrairement aux trois autres scènes, la séquence est entièrement filmée du point de vue d’un seul des deux personnages, celui de Nana. Il n’y aura jamais de véritable contre-champ sur le garçon, comme dans les autres scènes. Tout est vu par elle, ce que souligne le travelling subjectif tourné à la main de ce qu’elle voit dans son déplacement. Les autres personnages n’existent que par rapport à sa perception à elle de la situation, y compris les réactions du jeune homme qui lui avait donné au début de l’extrait un paquet de cigarettes.

La table de billard sert ici à délimiter dans l’espace de la grande salle une piste d’évolution où Nana (Anna Karina) va improviser sa danse de séduction, le temps de la chanson qu’elle a lancée sur le juke-box. Ici aussi, comme dans Three Times, la scène de danse dure le temps complet de la chanson. Au cours de cette danse elle ne cesse de jouer à l’élastique entre elle et le garçon en s’éloignant par moment de lui et parfois au contraire en s’en rapprochant jusqu’à le frôler.

Le personnage du tiers gênant est ici le souteneur de Nana, assis à une table avec un ami, mais qui n’interviendra pas pour enrayer la discrète rencontre amoureuse, dont il n’a pas l’air de se rendre compte.

Un autre tiers fait partie des protagonistes de cette scène, c’est le cinéaste lui-même en train de filmer celle qui est sa femme dans la vie. Elle danse visiblement autant pour le cinéaste et sa caméra que pour le garçon de la fiction.