Post tenebras Lux

Post tenebras Lux

Carlos Reygadas, Mexique, France, Pays-Bas, Allemagne, 2011

Commentaire

Le réalisateur filme une petite fille, en pleine nature, qui court. Elle est filmée en plans larges qui dévoilent le paysage somptueux dans lequel elle évolue : un champ détrempé par la pluie et dont le vert s’estompe parfois sous les taches sombres de la boue, des montagnes puissantes et majestueuses qui s’élèvent vers un ciel violet, annonciateur de la nuit prochaine. Au loin des vaches forment un troupeau dans un étrange ballet qui semble faire écho à la course de la fillette, tantôt nerveuse, tantôt apaisée et contemplative. Elle court seule, et semble n’être sous le regard de personne, hormis celui du spectateur. Mais Carlos Reygadas filme aussi les sensations éprouvées par la petite fille : la caméra, à hauteur de l’enfant, très mobile, semble attendre ou anticiper ses mouvements. Les plans d’ensemble, alternent au montage avec des plans très rapprochés qui nous font entrer dans sa perception et son intériorité. Cette sensation est accentuée par un effet visuel : le réalisateur utilise un filtre qui brouille le contour de l’image, et crée un halo surnaturel, comme si l’attention du personnage se focalisait, de manière extrême sur certains détails, les plus proches. On entend, très distinctement les vaches qui meuglent, la respiration haletante des chiens qui tournoient autour d’elle. Elle semble courir non pour échapper à un danger mais par jeu, son excitation et sa joie sont rythmées par le son de ses pieds qui s’enfoncent dans les flaques. Elle s’arrête parfois, comme pour écouter son propre souffle et nomme chaque chose qu’elle voit. Soudainement une horde de chevaux sauvages apparaît, comme dans un conte, comme si, par la magie de sa seule parole évocatrice elle les avait faits surgir de terre. Progressivement la lumière baisse, les sons nocturnes de la nature environnante emplissent tout l’espace et montent crescendo, les plans s’étirent, le rythme du montage ralentit. La petite fille et les animaux réduits à des silhouettes noires se confondent dans une même attente inquiète partagées, avant de se figer au moment où les éclairs de l’orage déchirent le ciel. Cette longue scène aux côtés de cette petite fille qui ouvre le film plonge le spectateur dans la réminiscence de la découverte, des premières fois de l’enfance.