Les petites fugues

Yves Yersin, Suisse, France, 1977, Splendor Films

Commentaire

Sur l’écran, un visage d’homme prend toute la place qui attend, scrutant l’horizon hors-champ. D’emblée toute notre attention de spectateur est associée à cette attente, car si ce qu’il guette nous est dissimulé au départ, le chant des oiseaux, du vent qui agite les feuilles d’arbres nous parviennent très distinctement, comme amplifiés par l’impatience, le désir de voir. Nous sommes comme lui aux aguets, tandis qu’un panoramique accompagne l’arrivée d’un train en gare. Apparaît alors l’objet tant attendu : une mobylette, solidement arrimée à un wagon de marchandises. Le récit de cet homme qui reçoit un objet tant convoité passe entièrement par les sensations : les plans rapprochés qui détaillent l’objet qui alternent avec celui de l’homme, filmé de dos, figé comme devant une apparition : le son de la sonnette qu’il active avec cérémonie, les mains qui caressent doucement le cuir de la selle neuve qui crisse et grince, l’odeur de l’huile qui s’échappe du moteur neuf. En dépit de leur aspect prosaique et matériel, ces découvertes semble susciter son émerveillement. Ici les sensations sont assignées au personnage, elles ne passent pas par le spectateur qui pourtant partage avec empathie sa félicité : à la fin de l’extrait, nous regardons la silhouette de l’homme s’éloigner, seul, poussant sa mobylette sur le côté , vers la profondeur de champ jusqu’à ce qu’il soit presque englouti par le paysage.