Les Fraises sauvages

Smultronstället

Ingmar Bergman, Suède, 1957, Carlotta Films

Commentaire

Isaac, vieil homme misanthrope, s'apprête à faire un voyage pour recevoir un titre honorifique. Suite à un rêve inquiétant dans lequel il se voit face à son propre cadavre, il décide de se rendre à destination en voiture. Sur le chemin, il fait un détour par la demeure familiale dans laquelle il venait enfant et adolescent. Attiré aussitôt par « le coin aux fraises des bois », il se laisse aller à la mélancolie, et sa voix off, présente dès le début du film, nous entraîne dans ses souvenirs. C'est d'abord un fondu enchaîné faisant se superposer l'image de la maison aujourd'hui fermée, avec celle du temps de la jeunesse d'Isaac, qui cède la place à la figuration du passé. Puis, après un zoom avant vers le visage d'Isaac, le flash-back prend corps par la présence incarnée de la jeune cousine Sara en train de ramasser des fraises, suivie de son prétendant de l'époque. Ils sont maintenant vus par Isaac alors que celui-ci, lui-même ancien amoureux de Sara, n'était pas présent quand cette scène s'est déroulée. Bergman poussera cette logique encore plus loin dans la scène à l'intérieur de la maison juste après cet extrait, en figurant le corps du vieil homme, comme un fantôme, circulant dans le même plan que celui des personnages du passé ; ici, la coupe entre champs (Isaac vieux) et contrechamps (Sara et l'autre cousin) manifeste encore la frontière entre présent et passé. Mais un curieux glissement s'est déjà opéré. Ainsi Isaac, rendu spectateur d'un passé implacable auquel il n'a pas assisté, tente-t-il de parler à ce souvenir, en vain, impuissant derrière la rampe du théâtre qui se joue sans lui : le passé se dévoile mais reste révolu, non réformable, Isaac ne peut être entendu. C'est au cruel bilan d'une vie que nous commençons à assister, pris entre deux régimes d'images apparemment contradictoires : celui, très concret (le corps du vieillard se déplaçant avec difficulté), d'une sensualité impressionniste irradiée par la lumière, rendant sensibles le toucher, le vent, les instants de la vie quotidienne – un drapeau hissé, un bébé bercé ; et celui plus abstrait et mental du souvenir et de la co-présence des temporalités, parfois soutenu par une musique lyrique et dramatique.