En construcción

José Luis Guerín, Espagne, 2001

Commentaire

En construccion documente la construction d’un nouveau quartier résidentiel dans un quartier populaire du coeur de Barcelone El Raval. Le chef de chantier dirige la pose d’un pilier, et tandis que le réalisateur filme en plans rapprochés la pelleteuse qui dévore la terre, apparaissent inopinément les hôtes inattendus du lieu, brusquement délogés : des chats qui s’enfoncent encore un peu plus loin dans les décombres. Le chantier a une double fonction : c‘est le lieu de travail des ouvriers que nous voyons s’affairer, mais c’est aussi le lieu vécu des riverains et habitants du quartier. Une bascule s’opère dans la séquence : le rythme du montage change, les plans se font de plus en plus rapprochés, au fur et à mesure que le spectateur découvre que les ouvriers qu’il croit encore observer sont en réalité des archéologues en plein travail : le son assourdissant des machines s’éloigne, les pelleteuses ont disparu, remplacées par les fins outils avec lesquels les archéologues mettent délicatement à jour des ossements humains. Apparaissent alors une main, un crâne patiemment dégagé, comme s’ils sculptaient la terre. A l’instar de ces gestes précis et attentifs, le geste  du réalisateur fait alors apparaître, sous la surface du présent, une autre couche du temps : le passé jusqu’alors invisible du lieu, son histoire et sa mémoire. Le spectateur le découvre, au même rythme que les observateurs dont Guérin nous dévoile l’émotion avec un grand talent de portraitiste. Au son d’abord, puis à l’image, nous voyons alors les badauds et riverains du quartiers qui se sont approchés et commentent la scène : sur les images des gestes techniques et scientifiques des archéologues se superpose le chœur des habitants qui émettent sur un ton grave et docte des hypothèses parfois farfelues sur l’origine et l’identité des corps ainsi découverts. L’espace d’un instant les morts et les vivants cohabitent et semblent s’observer. Si le réalisateur a filmé l’instant unique de la découverte inattendue de ce cimetière romain, c’est aussi le travail de montage, très important qui établit le lien presque choral qui unit alors les habitants provisoires du lieu (ouvriers, archéologues) aux habitants du quartier.