Tropical Malady

Sud pralad

Apichatpong Weerasethakul, Thaïlande, 2004, Gaumont

Commentaire

La séquence commence par un plan de paysage nocturne, à peine dégagé du noir de la nuit, où rien ne nous est véritablement montré. Au cours de ce plan on entend un coup de feu et un envol d'oiseaux apeurés mais rien dans l'image ne nous permet de voir ni même de localiser cet événement évoqué mais non montré.
Suivent des plans d'un homme essoufflé et apeuré dont l'image, presque entièrement noire, ne nous laisse voir qu'une fine silhouette de lumière en contre-jour et nous cache les traits et les volumes de son visage. Puis un plan partiel nous montre ses mains qui « marchent » sur les feuilles de la jungle. Dans un plan plus large l'homme s'ébroue comme un animal sans que nous puissions identifier exactement le sens de ses gestes. Tout dans ce début de séquence nocturne crée un climat mystérieux, dans des plans où le noir, le non-visible dominent largement sur le visible.
Quand on passe au plan large, avec l'homme et l'arbre dans le cadre, le tigre y est en même temps présent et caché, car il se confond avec la silhouette sombre de l'arbre et n'a aucune épaisseur ni matière. Comme il est parfaitement immobile, le temps que met chaque spectateur pour le découvrir dans l'image n'est sans doute pas le même pour tous. Il est présent dans le visible sans être véritablement « montré » comme il aurait pu l'être par un plan plus serré qui l'aurait recadré. Puis, toujours dans le même plan et le même cadre, c'est le personnage lui-même qui va nous « montrer » le tigre avec le faisceau de sa torche électrique : ce qui n'était jusque-là qu'une forme noire et immobile devient un tigre réel et singulier avec son pelage à rayures en couleurs et les mouvements de sa respiration. Ce qui n'était qu'une silhouette plate et noire prend du modelé et de la couleur.
Ce n'est que dans les champs-contrechamps qui suivent que l'homme et l'animal deviennent clairement visibles à l'image. Mais dans le dernier plan la tête du tigre retourne en partie au noir, à l'exception de son œil droit lorsque le personnage dit en voix off : « à présent, c'est moi que je vois ». Ce changement d'éclairage sur la tête du tigre n'a pas de justification réaliste : c'est un pur choix du cinéaste de faire retourner une partie de la tête du tigre dans l'ombre au moment où le personnage s'identifie à lui.