Rebecca

Alfred Hitchcock, Etats-Unis, 1940, Tamasa Distribution

Commentaire

Rebecca s'ouvre par un prologue, qui n'est absolument pas nécessaire à la compréhension de l'intrigue ; il s'agit donc d'un choix très assumé de la part d'Hitchcock que de commencer le film par cette séquence consacrée à la demeure de Manderley, et d'en affirmer ainsi l'enjeu crucial, autant que de placer d'emblée le film dans une ambiance spectrale et une esthétique très singulière (expressionniste, voire gothique : le film est adapté du roman victorien éponyme de Daphné du Maurier). Un an avant le Xanadu de Citizen Kane d'Orson Welles dont la séquence d'ouverture est très proche, le film débute de nuit, à la pleine lune, par une grille fermée qui empêche l'accès à un vaste domaine. La séquence nous fait d'abord traverser cette grille de façon fantastique, puis la caméra semble avancer en flottant dans la brume et l'obscurité qui voilent la propriété - c'est un rêve. Les branches d'arbres en amorce agissent comme des obstacles et retardent l'apparition de la bâtisse, nommée par la voix-off : Manderley. Là encore, on note l'importance du nom, comme si le lieu était baptisé, personnifié, et ici synonyme de l'honneur et des apparats d'un autre nom, celui du couple de Winter.

Par un jeu de pénombres et de lumières, la maison semble comme hantée par des présences fantomatiques, alors que l'on assistera à la fin du film à sa destruction dans les flammes d'un incendie : la maison n'existe donc plus. Mais elle persiste dans le souvenir de l'héroïne (qu'on ne voit pas mais qui prononce la voix-off), et c'est ce souvenir, cet « esprit du lieu », apparemment ineffaçable, qui lance l'histoire. En cela, Manderley se calque sur le personnage de Rebecca, morte noyée : deux noms entêtants, qui désignent des disparus que tout semble rappeler éternellement, et possiblement prêts à se ranimer et à rejaillir sur les vivants.