Parasite

Gisaengchung

Joon-ho Bong, Corée, Japon, 2018

Commentaire

Au cinéma, l’un des sens les plus difficile à rendre à l’image est l’odorat. La plupart du temps c’est le jeu d’acteur, parfois appuyé, comme c’est le cas dans cette scène, qui permet de surmonter cette difficulté. Dans Parasite, la famille Kim, qui vit d’expédients et de petites combines dans un taudis insalubre, a réussi à s’incruster dans la vie d’une famille très aisée, les Park. Le fils, embauché initialement comme professeur particulier de la fille aînée a réussi à caser, par ruse, son père comme chauffeur, sa mère comme gouvernante et sa sœur comme coach d’arts plastiques du petit dernier, bien qu’aucun n’aie les qualifications requises. La famille riche ignore totalement ce stratagème. La séquence débute dans la chambre du fiston, penché sur des gribouillages que sa mère prend pour du futur Basquiat, au son de la sonnette qui annonce le retour de son père ; il bondit, la caméra s’envole littéralement tandis qu’il rejoint le rez-de chaussée, dévoilant l’intérieur luxueux de la maison, semblable à un cube rutilant de propreté, de richesse et de transparence. Le lent mouvement de la caméra, la musique d’opéra qui envahit la pièce, jusqu’à la chorégraphie parfaite du garçonnet se jetant dans les bras de son père : tout semble parfait. Cependant, le spectateur le sait, il y a un grain de sable dans les rouages de ce tableau idéal. Très riches et très pauvres, dans une société ultra capitaliste vivent dans des mondes bien séparés. A une exception près : quand les uns sont au service des autres, induisant une proximité physique inévitable... Dans ce cas il y a des règles : les serviteurs doivent s’effacer ; être invisibles. Chacun doit rester à sa place sans franchir les lignes… Ce que ne se privent pas de faire les Kim à la moindre occasion, et notamment ici quand le père, en catimini, pince les fesses de sa femme. Mr Kim croule sous les paquets il disparaît littéralement et nul ne prête attention à lui… Jusqu’à ce que l’innocent garçonnet s’approche du chauffeur et le renifle ostensiblement, comme un animal ; puis se précipite jusqu’à la gouvernante et la renifle également sans retenue. Il se fait réprimander, ce sont des manières inconvenantes… pourtant il est celui qui est sur le point de dévoiler la supercherie, car il enfonce le clou : jusqu’à Jessica, sa coach d’arts plastiques ils « sentent tous pareil ». Dans cette satire, le réalisateur, sur le mode de la farce grinçante ose : la pauvreté ne se voit pas, on peut toujours s’habiller, se coiffer, changer ses manières, comme le font tous les Kim ; mais elle a bien une odeur, celle de la friture, des habitats humides, des égoûts de la ville qui se déversent dans certains quartiers. Le réalisateur fait de l’odeur un des enjeux scénaristiques , quand les Kim seront au bord d’être démasqués. L’odeur de la pauvreté devient un leitmotiv tragi-comique, farcesque, il condamne immédiatement tous les espoirs des Kim pour sortir de leur condition sociale.