Premières vues

En 1895, les frères Auguste et Louis Lumière présentent à Paris leur dernière invention: le cinématographe. Dans les années qui suivent, ils envoient des opérateurs de prise de vues aux quatre coins de la planète pour filmer le monde et les activités humaines, dans leur grande diversité. Ceux-ci rapportent des images qui éblouissent les spectateurs. Leurs appareils sont posés sur un trépied, l'opérateur, pour filmer, doit tourner une manivelle qui fait avancer la pellicule : les plans seront donc fixes (sauf si le trépied, la caméra et l'opérateur sont, eux-mêmes, posés sur un véhicule). Les bobines de pellicule sont petites; les plans (ou « vues Lumière ») ne feront pas plus de 60 secondes. Aujourd’hui, on appelle « minute Lumière » un plan qui reprend ce même geste fondateur du cinéma, enregistrer le monde en 60 secondes… la couleur et le son en plus.


Sortie d'usine, première vue du programme de la projection au Salon indien du Grand Café le 28 décembre 1895, extraite du film Lumière ! L'aventure commence, composé par Thierry Frémeaux © Institut Lumière

 

« Une nouvelle invention, qui est certainement une des choses les plus curieuses de notre époque, cependant si fertile, a été produite hier soir, 14 boulevard des Capucines, devant un public de savants, de professeurs et de photographes. Il s’agit de la reproduction, par projection, de scènes vécues et photographiées par des séries d’épreuves instantanées. Quelle que soit la scène ainsi prise et si grand que soit le nombre de personnages ainsi surpris dans les actes de leur vie, vous les revoyez, en grandeur naturelle, avec les couleurs (sic !), la perspective, les ciels lointains, les maisons, les rues, avec toute l’illusion de la vie réelle. »

Le Radical, 30 décembre 1895


« Un film Louis Lumière, ça a l’air très spontané. On a posé la caméra dans la rue, c’est la rue qui passe, et si c’est très savant, si ça bouleverse, on se dit : c’est le hasard. On avait x mètres, pas plus, pour composer un plan. Le plan, par exemple, commence par un tramway qui entre dans l’image à droite, il y a tout un mouvement, puis ça s’achève par un tramway qui entre dans l’image à gauche. Ce n’est pas du tout un hasard. Ils ont repéré le meilleur moment de prise de vues, et ils ont réussi la chose la plus extraordinaire, la chose qu’on a oubliée : pendant ces quelques secondes, ils ont réussi sans changer la place de la caméra, le maximum de plans. Il y a des gros plans, des plans américains, des plans rapprochés, des plans d’ensemble, et un mouvement qui unit tout ça. C’est une science, que Louis Lumière et les opérateurs qu’il a choisis ont en eux. Un désir très sincère de copier la réalité sans rien y ajouter, sans rien en retrancher. »

Henri Langlois

 

La Canebière, vue extraite du film Lumière ! L'aventure commence, composé par Thierry Frémeaux © Institut Lumière


Lancement du "Varèse" à Livourne, vue extraite du film Lumière ! L'aventure commence, composé par Thierry Frémeaux © Institut Lumière

 

« Ce qui intéressait Méliès, c’était l’ordinaire dans l’extraordinaire, et Lumière, l’extraordinaire dans l’ordinaire. »

Jean-Luc Godard


« Sur la recommandation d’un de mes parents, M. Louis Lumière me reçoit (en 1896). Il a l’intention de former des opérateurs et il me questionne avec cette bienveillance qu’il sait témoigner aux débutants. (…) Il me promet sa sollicitude pour un poste intéressant, mais très amicalement il me dit : « Vous savez, Mesguich, ce n’est pas une situation d’avenir que nous vous offrons, c’est plutôt un métier de forain ; cela peut durer six mois, une année, peut-être plus, peut-être moins ! » (…) Sans perdre de temps, je le suis dans la salle de démonstration. Jamais je n’oublierai mon saisissement. Dans une pièce obscure, devant mes yeux stupéfaits, une projection reproduit sur un écran de calicot l’image de la vie. C’est une révélation ; je suis émerveillé. Mais passé l’accès de surprise et de curiosité, je m’attriste en quelque sorte de mon ignorance et de mon incapacité. Réussirai-je jamais à impressionner moi-même ce ruban de celluloïd et à le faire mouvoir ? »

Félix Mesguich, opérateur Lumière

 

Biarritz : la plage et la mer, vue tournée par Félix Mesguich, extraite du film Lumière ! L'aventure commence, composé par Thierry Frémeaux © Institut Lumière